


A11Y Paris 2025 : Le résumé complet (Partie 1)

Accessibilité numérique : Pourquoi il est urgent de se former ?

L’équipe Frontguys avait le plaisir d’être une nouvelle fois présente à A11Y Paris le 25 juin dernier, l’évènement incontournable de l’accessibilité en France.
Cette 6ème édition était d’autant plus attendue qu’elle coïncidait à quelques jours près avec l’entrée en application de la Directive Européenne sur l’accessibilité produits et services.
Retour sur une nouvelle journée riche en enseignements.
Voulant être exemplaires sur les informations que nous donnons, n’hésitez pas à nous signaler les éventuelles erreurs ou imprécisions.
Retrouvez la première partie de l’article où nous racontons la matinée de l’évènement : état des lieux de la Fédération des Aveugles de France, clarification du cadre juridique, et préparation des autorités de contrôle.
Plusieurs intervenants ont accepté de partager leurs avancées, leurs difficultés et les leviers identifiés pour améliorer l’accessibilité numérique de leurs produits.
Pour le secteur e-commerce :
Pour le secteur bancaire :
Le secteur bancaire est apparu plus mature dans sa démarche : ce secteur s’est engagé de longue date sur l’accessibilité physique des agences. La Banque Postale et le Crédit Agricole ont évoqué le cas des distributeurs de billets et la vocalisation de leurs interfaces. L’accessibilité numérique s’inscrit comme une continuité de leurs efforts, là où elle représente un défi récent pour beaucoup d’acteurs du e-commerce.
L’audit externe est souvent le premier réflexe pour évaluer la conformité d’un service numérique, il permet d’obtenir une évaluation rapide, objective et experte. Toutefois, il représente un coût important pour l’entreprise. Il apporte une masse importante de corrections à traiter en un seul coup, ce qui peut décourager les équipes et bouleverser les planning de livraison. Jorge Goncalves (Fnac Darty) mentionne par exemple que les deux premiers audits d’accessibilité (en 2021 et 2022) n’ont abouti sur aucune action. Le manque d’expertise interne peut rendre difficile l’interprétation et l’exploitation des résultats.
A l’inverse, un audit interne permet une approche plus progressive : audits plus fréquents, corrections réparties dans le temps, et ancrage d’une culture de l’accessibilité dans l’organisation. Mais cette solution implique d’investir dans la formation et présente le risque d’un manque d’objectivité (« juge et partie ») ou d’une perte de compétences en cas de turnover. Chez SNCF Connect, par exemple, un audit est organisé tous les six mois, ce qui favorise un suivi régulier et une amélioration continue.
Les intervenants ont été unanimes sur le besoin de sensibiliser et engager les directions. Pour débloquer les budgets, « cela doit faire partie d’un plan stratégique ». La directive EEA a justement joué un rôle d’accélérateur pour convaincre les comités exécutifs d’investir.
De la même manière, l’accessibilité numérique ne doit pas reposer sur quelques développeurs ou designers volontaires. Elle doit impliquer toute la chaîne, le marketing pour la rédaction des contenus, les Product Owners pour la définition des exigences produit.
Au-delà des compétences individuelles, l’accessibilité doit être intégrée aux process des entreprise : sélection des prestataires, politique d’achats. Miser uniquement sur les personnes expose à un risque de régression en cas de départs ou de changements d’équipe.
Tous les intervenants ont insisté sur l’importance de faire tester leurs services par des personnes réellement concernées. Cette approche permet de mieux comprendre les difficultés rencontrées et d’aller au-delà des simples audits techniques.
Toutefois, mesurer le retour sur investissement (ROI) reste complexe. En effet, la législation interdit de collecter des données sur le handicap des utilisateurs, et la majorité d’entre eux n’étaient pas consommateurs du service avant la prise en compte de leurs difficultés. Pour avancer malgré ces limites, plusieurs entreprises (Crédit Agricole, Carrefour, Leboncoin) s’appuient sur leurs clients : en leur proposant de tester, ou en recueillant leurs retours via des boîtes mail dédiées.
Chez SNCF Connect, l’arrivée d’une salariée malvoyante a aussi permis une prise de conscience interne forte, en humanisant le sujet. De son côté, Fnac Darty a organisé des tests internes avec une vingtaine de collaborateurs volontaires rencontrant des difficultés.
Leboncoin et BNP Paribas travaillent également avec des associations pour organiser des tests d’usabilité, tandis que SNCF Connect collabore en continu avec les associations représentatives.
Pour les grandes entreprises, un des défis majeurs est la multiplicité des sites et applications. Carrefour, par exemple, gère près de 30 sites différents.
Sans design system, chaque site nécessite un audit et des corrections spécifiques, entraînant une complexité et un coût importants.
Avec un design system, il devient possible d’industrialiser et d’uniformiser les comportements liés aux lecteurs d’écran par exemple. Un socle commun solide permet de s’assurer que tous les produits suivent les mêmes normes d’accessibilité. Leboncoin a ainsi cité son design system comme un « véritable accélérateur »
Face à la masse de factures et contrats à rendre accessibles, certaines entreprises choisissent de fournir des PDF compatibles avec un lecteur d’écran sur demande, ce qui crée une barrière pour les utilisateurs malvoyants. Ces documents doivent être structurés selon la norme PDF/UA (ISO 14289) dès leur création : titres balisés, contenu logique, texte alternatif pour les images, etc.
Chenda SOK (BNP Paribas) a souligné qu’« industrialiser la génération de PDF accessibles est encore un énorme chantier », notamment en raison de la diversité des formats générés par les différents services internes.
Le paiement en ligne et les processus d’authentification forts soulèvent des enjeux spécifiques. Les interfaces doivent respecter les principes du RGAA, notamment pour les formulaires de saisie de carte, le choix des moyens de paiement et les étapes de 3D Secure. Le groupe Carte Bancaire travaille sur une nomenclature commune en concertation avec les associations.
Les services de signature électronique et d’authentification à double facteur représentent un autre défi : captchas audio, alternatives accessibles aux formulaires, compatibilité avec les lecteurs d’écran. Tout l’enjeu pour les entreprises du e-commerce et le secteur bancaire est de réussir à proposer des parcours inclusifs, sans sacrifier la sécurité.
Plusieurs entreprises invitées à parler de leurs actions pour l’accessibilité numérique n’avaient pas répondu à l’appel. Pas assez matures sur le sujet ou pas prêtes à affronter un public aussi exigent ? Un peu des deux certainement. Et ça peut se comprendre car la colère monte chez les utilisateurs en difficulté qui veulent faire valoir leurs droits et les petits pas, même dans le bon sens, ne semblent pas convaincre. Pour rappel, les entreprises présentes sont légalement obligées depuis 2019 de se mettre en conformité.
Cependant, certaines questions du public furent assez virulentes. Notamment quand une entreprise fut interrogée sur les prises de position de son Directeur. Idem pour les sollicitations internes de collaborateurs en situation de handicap qui furent associées à du travail supplémentaire non rémunéré. Il est bon de rappeler que les intervenants représentent pour un court instant leurs entreprises respectives, mais n’ont pas vocation à répondre de la politique interne, ni des agissements d’autres personnes.
Anne-Sophie Tranchet, Lead Design & Accessibilité à la DINUM, a partagé son expérience au sein de beta.gouv, l’incubateur des services numériques de l’État, où elle a exercé le rôle d’AccessibilityOps.
Avant de construire une stratégie, Anne-Sophie a d’abord pris le temps d’écouter et d’observer. Elle a mené un état des lieux : interroger les équipes, comprendre si et comment l’accessibilité était prise en compte, et identifier les freins rencontrés.
Ensuite, il a fallu bâtir un programme d’accompagnement. Un vrai défi : sans résultats immédiats, difficile d’obtenir l’appui de la hiérarchie. Et pourtant, comme cela a été rappelé à plusieurs reprises lors de cette journée, l’accessibilité gagne en efficacité lorsqu’elle est portée depuis le sommet de l’organisation — avec des sponsors, des budgets et du temps clairement alloués.
Pour prouver l’intérêt de sa démarche, Anne-Sophie a commencé avec des équipes pilotes. Objectif : obtenir rapidement des résultats concrets à valoriser en interne.
Dans son quotidien, Anne-Sophie a engagé de nombreuses conversations informelles avec les parties prenantes, pour les sensibiliser progressivement à l’accessibilité. Mais ces discussions restaient limitées : toutes les équipes n’étaient pas touchées.
Souvent, l’accessibilité surgissait dans l’urgence :
“Notre administration sponsor exige une conformité à 100 % dans six mois, par où commencer ?”
Face à ces demandes réactives, il devenait crucial d’outiller toutes les équipes, pas seulement celles qui étaient déjà sensibilisées. Anne-Sophie a donc mis en place des formats concrets pour leur transmettre les bons réflexes :
En parallèle, elle a travaillé à rendre l’accessibilité visible : adaptation du discours selon les interlocuteurs (KPI, outils, partages de veille), animation d’une communauté pour que chacun.e se sente acteur et pas isolé.e, valorisation des avancées.
Côté méthode, notre experte a développé un outil d’évaluation simplifié, axé sur l’expérience utilisateur plutôt que sur la stricte conformité réglementaire. Pourquoi ? Parce que :
Cette méthode permet une évaluation rapide (24 critères) sur un petit échantillon (3 pages), plus en phase avec les usages réels et les contraintes des équipes de beta.gouv.
Plus qu’un simple référent accessibilité, le rôle d’AccessibilityOps s’apparente à celui de DesignOps : une approche structurante, tournée vers l’opérationnel, qui vise à industrialiser, outiller, évangéliser et coordonner l’accessibilité dans une organisation.
AccessibilityOps, c’est relier les personnes, la technologie et les process pour concevoir, maintenir et améliorer des produits accessibles.
Les grandes missions associées à ce rôle :
Anne-Sophie, le concède volontiers, « AccessibilityOps c’est 5 métiers en 1 seul ».
Anne-Sophie a conclu son intervention avec une phrase qui résume bien sa démarche :
“Le perfectionnisme est une mauvaise approche de l’accessibilité.”
— Sheri Byrne-Haber
L’important est d’avancer, même par petits pas. D’agir avant que tout soit parfait. Car en matière d’accessibilité, l’action concrète vaut mieux que l’intention figée.
Un moment fort et marquant, lors duquel Kévin Bustamante, référent accessibilité chez TF1, a partagé avec sincérité les obstacles quotidiens auxquels il est confronté en tant que personne non-voyante.
Aveugle de naissance et formé à l’Institut National des Jeunes Aveugles, son parcours personnel et professionnel illustre les freins persistants à l’inclusion : salons étudiants inaccessibles, documents illisibles, outils numériques souvent incompatibles. Très tôt, il a dû endosser, parfois malgré lui, le rôle de formateur et d’auditeur pour faire progresser l’accessibilité autour de lui.
Son parcours est marqué par une frustration face au manque de la culture numérique inclusive dans les entreprises. Déterminé à faire évoluer les choses, il s’est formé en autodidacte au développement web, après des études en école de commerce, et a constaté que l’accessibilité reste marginale dans les formations comme en entreprise.
Kévin regrette que l’accessibilité soit encore souvent traitée comme un module optionnel dans les cursus, alors qu’en entreprise elle devient une obligation légale. Cette contradiction complique son intégration cohérente dès le départ et freine l’adhésion des professionnels.
Kévin a également rappelé que le métier de référent accessibilité reste récent et encore peu reconnu. Souvent issu d’une mobilité interne, ce rôle repose généralement sur une formation en interne, laissant au référent la responsabilité de sensibiliser les équipes, bien souvent sans accompagnement ni valorisation à la hauteur des enjeux.
De plus, ce poste est souvent mal défini ou fusionné avec celui d’auditeur, bien qu’ils nécessitent des compétences différentes. Kévin lui-même a occupé deux postes créés suite à des candidatures spontanées, preuve qu’une entreprise sensibilisée peut créer de nouvelles opportunités inclusives.
Enfin, notre référent insiste sur l’importance de la sensibilisation au sein des équipes et de l’intégration de l’accessibilité dès la conception. Pour lui, le référent est un chef d’orchestre : il ne fait pas tout, mais coordonne les efforts pour faire avancer l’ensemble.
Kevin a terminé son intervention en disant qu’il est temps de passer à l’action.
Les outils, les connaissances et la volonté sont là — il ne manque plus que l’engagement collectif.
Pour finir la journée, Frédéric Halna (Tanaguru), Aurélien Lévy (Temesis), Sébastien Delorme (Ideance) et Manuel Pereira (AVH) se sont retrouvés en table ronde pour nous faire quelques annonces intéressantes.
Tout d’abord Frédéric Halna a annoncé que c’était la dernière édition de l’évènement A11Y Paris dans la forme que nous connaissons depuis 6 ans. Un tel rassemblement ainsi que les moyens humains et logistiques nécessaires pèsent lourd sur les personnes qui sont à l’organisation. Cependant, ce n’est pas pour autant que les évènements autour de l’accessibilité s’arrêtent. Au contraire !
Les intervenants ont annoncé la création de l’association A11Y France, co-gérée par plusieurs acteurs de l’accessibilité numérique. Cette nouvelle structure a pour but de prendre la relève de ce que faisait Braillenet à son époque au travers de la certification et du groupe de travail AccessiWeb. L’idée est de proposer une structure pour :
Un des enjeux majeurs sera la gouvernance du RGAA et, on l’espère, une collaboration intelligente avec la DINUM.
L’adhésion est ouverte à tout le monde : entreprises publiques ou privées, associations, indépendants, écoles et universités, … Elle n’a pas vocation à concurrencer mais plutôt à valoriser et à faire reconnaître leur travail.
Nous avons hâte d’en savoir plus et de pouvoir adhérer !
C’est toujours un réel plaisir de participer à l’évènement et de croiser des personnes inspirantes et motivantes. L’idée d’appartenir à un monde où tout fait sens et dans lequel nous avons des responsabilités citoyennes importantes est d’autant plus engageant.
Concernant le contenu des interventions, nous aurions aimé plus de coordination dans les discours. La matinée, plutôt théorique, a donné lieu à plusieurs redites des principes de l’accessibilité numérique et surtout au sujet de la directive européenne.
Il y a évidemment eu quelques ratés. La salle d’abord avec une qualité de réseau mobile médiocre couplée à une visibilité de la scène difficile selon la position dans le public. Les questions de l’audience, parfois acerbes et à charge et souvent monopolisées par les mêmes personnes. Et enfin les personnes irrespectueuses dans le fond de la salle qui bavardent fort pendant les présentations et dont le bruit a considérablement nuit à la qualité des interventions.
L’équipe Frontguys remercie les organisateurs et les mécènes. L’organisation a été encore une fois au top et les personnes du staff toujours aussi bienveillantes.
Nous repartons d’ici encore plus motivé·es pour faire plus, pour faire mieux !