


Accessibilité numérique : Pourquoi il est urgent de se former ?

L’équipe Frontguys avait le plaisir d’être une nouvelle fois présente à A11Y Paris le 25 juin dernier, l’évènement incontournable de l’accessibilité en France.
Cette 6ème édition était d’autant plus attendue qu’elle coïncidait à quelques jours près avec l’entrée en application de la Directive Européenne sur l’accessibilité produits et services.
Retour sur une nouvelle journée riche en enseignements.
Voulant être exemplaires sur les informations que nous donnons, n’hésitez pas à nous signaler les éventuelles erreurs ou imprécisions.
Retrouvez la seconde partie de l’article où nous racontons l’après-midi de l’évènement : la prise en compte de l’accessibilité numérique dans les entreprises, le rôle de référent accessibilité et le futur d’A11Y Paris.
La journée a commencé avec un état des lieux de l’accessibilité numérique par la Fédération des Aveugles de France représentée par Katie Durand et Denis Boulay. La mission du pôle Accessibilité et usage numérique s’articule autour de 3 axes principaux : le lobbying, l’expertise et la formation.
Déjà présent l’année dernière, l’organisme nous à fait part des chiffres à jour de son Observatoire qui a pour objectif :
Pour information, l’Observatoire ne se base que sur ce qui est déclaré par les entreprises (déclaration d’accessibilité, schéma pluriannuel, plan d’actions) et n’a pas pour vocation à contrôler la véracité des propos, ni à contre-auditer les services numériques.
Jusqu’à présent, l’Observatoire a contrôlé au total 7309 sites tous secteurs confondus. Sans surprise, les résultats sont aussi catastrophiques que l’année précédente : seulement 264 sites (3,61%) respectent leurs obligations légales d’affichage (mention en page d’accueil de l’état de conformité, déclaration et schéma pluriannuel) ! Cela ne veut pas dire qu’ils respectent les règles d’accessibilité pour autant.
Concernant la répartition de l’état de conformité :
Il est également important de signaler que 762 déclarations d’accessibilité sont obsolètes car le dernier audit date d’il y a plus de 3 ans. L’occasion de rappeler que l’accessibilité n’est pas quelque chose qu’on ne vérifie qu’une seule fois.
Pour rappel, il y a 1 an, l’observatoire ne comptait que 3,91% de sites qui respectaient leurs obligations légales d’affichage sur un ensemble de 4000 sites contrôlés.
Fait intéressant : la plupart des chiffres viennent du secteur public qui compte 5973 sites contrôlés. Parmi eux seuls 202 respectent les obligations d’affichage mais surtout quasiment 50% des sites ont une déclaration obsolète. Un constat amer quand on sait que l’ensemble des sites de l’État et des collectivités territoriales doivent être conformes au RGAA depuis 2012.
La transposition de la directive européenne en Droit français fait entrer plusieurs secteurs d’activités dans le cadre obligatoire de la mise en conformité de l’accessibilité numérique. Bien que les nouvelles entreprises ne soient pas toutes soumises aux mêmes obligations d’affichage que celles concernées par les Lois précédentes, elles doivent toutefois respecter les référentiels en vigueur.
Aucune entreprise du secteur bancaire (210 entités contrôlées) ou e-commerce (610 entités contrôlées) s’affiche aujourd’hui comme étant totalement conforme.
Toutefois, les intervenants ont tenu à souligner qu’il y avait des sous-secteurs plus sérieux que d’autres comme :
Parmi les mauvais élèves, les sous-secteurs les plus représentés sont :
Très peu de structures sont réellement prêtes pour le 28 juin 2025, date d’entrée en application de la directive européenne. Les chiffres stagnent et peu d’efforts sont visibles à cette échelle.
L’organisme va prochainement proposer de nouvelles fonctionnalités et en étudier d’autres :
En tant que professionnel·les de l’accessibilité numérique, beaucoup de prospects et de clients nous interrogent sur l’aspect juridique. Sont-ils concernés ? Que doivent-il déclarer ? Que doivent-il mettre en conformité ? Qu’est-ce qu’un service ? Un produit ? Plutôt 2025 ou 2030 ? N’étant pas spécialistes de la loi pour autant, nous avons souvent du mal à nous justifier ou être précis.
L’intervention de Nicolas Rohfritsch, Avocat à la Cour, était donc très attendue du public. En effet, nous avons tous l’EAA (European Accessibility Act / Acte Législatif Européen sur l’Accessibilité) en tête et la date du 28 juin 2025, mais l’aspect légal est encore flou et beaucoup d’informations contradictoires circulent depuis un moment.
Après quelques rappels sur les obligations de la Loi Handicap de 2005 et de la Loi pour une République Numérique de 2016, notre intervenant nous a expliqué les fondamentaux de la Directive européenne 2019/882 (EAA) transposée en Droit français. Au passage, nous avons secrètement apprécié les petits tacles au législateur français qui a non seulement pris énormément de temps pour faire la transposition mais qui a tout repris mot à mot…
Afin de ne pas dénaturer les propos de l’intervenant ou diffuser des informations inexactes, nous préférons vous renvoyer sur la fiche pratique de la DGCCRF sur la Directive Européenne qui détaille les secteurs d’activité concernés ainsi que les définitions liées aux services et produits.
Nous allons surtout nous concentrer ce qui était sujet à interprétation jusque là.
Un service est un contrat de gré à gré avec chaque consommateur. Par exemple, chaque commande passée sur un site e-commerce est un “service fourni” à un consommateur donné. Également pour les services bancaires, c’est un contrat spécifique à chaque client. Le processus numérique utilisé pour établir ce contrat doit donc être conforme.
Un produit est défini comme “une substance, une préparation ou une marchandise produite par un procédé de fabrication”. Il s’agit donc de quelque chose de physique et non numérique. Ce n’est pas le même “product” que nous utilisons dans notre jargon car la définition ne colle pas pour un site.
La Directive, transposée par la Loi DDADUE 2023, demande aux entreprises concernées de mettre en conformité leurs services numériques et les produits qu’elles mettent à disposition des consommateurs. On parle donc bien de B2C et pas de services ou produits utilisés entre professionnels, ni d’outils internes ou de back-office.
Certaines entreprises des secteurs d’activité visés par l’EAA étaient déjà concernées depuis 2019 de part leur CA supérieur à 250M€ réalisé en France. L’EAA élargit considérablement le champ en impliquant les entreprises de plus de 10 salariés ou faisant plus de 2M€ de CA. Cependant les entreprises uniquement concernées par l’EAA ne sont pas soumises aux mêmes obligations déclaratives (état de conformité, schéma pluriannuel, point de contact, référent accessibilité) que celles concernées par les autres Lois.
Il existait une confusion concernant le délai supplémentaire de 5 ans qui semblait concerner les services existants avant le 28 juin 2025. Or, la Loi évoque bien des “services fournis” et non des “services créés”. Un service est un contrat de gré à gré avec chaque consommateur. Ainsi, un service existant qui pouvait être non conforme avant cette date, doit l’être au 29 juin 2025.
L’échéance de 2030 ne concerne que les services qui mettent à disposition des produits déjà présents sur le marché et dont la mise en conformité ne serait pas possible dans l’immédiat ou nécessiterait de les détruire.
Par exemple : un prestataire qui propose des box internet pas encore conformes et ayant conclu des contrats de services avant le 28 juin 2025. Cette exception concerne peu de cas finalement.
Du côté des exemptions, il y a :
Pour nous aider à mieux comprendre M. Rohfritsch nous a proposé l’exemple suivant : Une entreprise de e-commerce lancée en 2024 qui vend des smart TV.
Cette entreprise serait concernée par l’EAA car :
Les outils internes de gestion, de contribution et de production ne sont pas concernés par la mise en conformité de part cette Loi.
Notre intervenant a ensuite fait un point sur les autorités de contrôle compétentes pour vérifier la conformité des services et produits : l’ARCOM, la DGCCRF, l’ARCEP, l’AMF et la Banque de France. Ces organismes collaboreront ensemble car certaines entreprises et typologies de services peuvent appartenir à plusieurs périmètres. Les autorités ont d’abord pour consigne d’alerter et de faire des rappels à la loi avant de passer aux sanctions. On passe donc par une phase de sensibilisation et de pédagogie avant de passer aux amendes de la 5ème classe : 7 500€ pour les personnes morales, 15 000€ en cas de récidive.
Il est à noter que les sanctions sont cumulatives pour les entreprises concernées par les différentes lois.
Le public a pointé du doigt les faibles montants des sanctions et qui ne dissuaderont pas les entreprises réticentes à rendre leurs services accessibles. M. Rohfritsch a répondu que nous manquons de recul pour l’instant car les choses n’ont pas commencé. Les lois peuvent encore se renforcer et il vaut mieux se mettre en conformité dès maintenant car les sanctions de l’ARCOM commencent à tomber.
M. Rohfritsch nous a aidé à y voir plus clair en vulgarisant au maximum les textes de loi et en répondant aux questions aussi précisément qu’il le pouvait. Certaines questions trouveront leurs réponses avec le temps, le recul et les jurisprudences.
Les autorités de contrôle sont considérées comme des alliées de l’accessibilité numérique. Sans elles, la majorité des entreprises ne prendraient pas au sérieux les enjeux et n’avanceraient pas dans l’inclusion du handicap. Les présentation de la DGCCRF et de l’ARCOM étaient donc très attendues, surtout après les couacs de l’année dernière.
Jessica Ramani, Inspectrice principale à la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) est intervenue sur scène. Après plusieurs rappels sur le contexte juridique et plusieurs redites de l’intervention précédente, nous avons eu une présentation du champ d’action et du mode de fonctionnement de l’organisme de contrôle.
La DGCCRF est désignée compétente pour les contrôles liés aux produits et services concernés par la directive européenne. En revanche, elle n’est pas compétente pour :
Mme. Ramani a indiqué que la DGCCRF travaillera en priorité sur le secteur du transport en 2025. Nous n’avons pas eu d’autre information sur les autres secteurs d’activité visés.
Notre intervenante a ensuite précisé qu’il y avait 4 suites possibles après un contrôle :
Les contraventions sont cumulatives par sites / applications et par points d’obligations.
Concernant les moyens à sa disposition, la représentante de la DGCCRF s’est montrée moins précise. Mme. Ramani a parlé d’équipes polyvalentes avec des agents spécialisés par secteurs. Par contre, elle n’a pas su répondre aux interrogations sur les compétences spécifiques liées à l’accessibilité numérique des agents. De même, il n’y a pas eu de réponse apportée sur le nombre de personnes dédiées aux contrôles.
Elle s’est montrée assez maladroite en mentionnant des “outils pour contrôler” qui seraient “fabriqués par la DINUM”. Si ces outils concernent le numérique et pas les produits physiques, alors il est important de rappeler que rien ne remplace à l’heure actuelle la vérification humaine et que les rapports automatisés peuvent être trompeurs.
La DGCCRF a également été interrogée sur la version du RGAA qui fait foi après le 28 juin. Il serait illogique que les entreprises qui travaillent sur la mise en conformité au RGAA 4.1.2 soient en difficulté alors qu’une nouvelle version est en préparation.
Antoine CAO (Directeur de programme Accessibilité numérique de la DINUM) nous a expliqué que la base existante du RGAA ne subira pas de grosses modifications, la plupart des évolutions concerne des ajouts. Par définition, ne pas être conforme au RGAA 4.1.2 ne rendra évidemment pas conforme au RGAA 5. Dans tous les cas, le contrôle portera sur la base déclarative.
Laurence Pecaut-Rivolier a ensuite pris le relais pour l’ARCOM (Autorité de Régulation de la COMmunication audiovisuelle et numérique) avec un discours beaucoup plus travaillé et solide. Il faut dire que son intervention de l’année dernière avait laissée le public dubitatif à l’annonce des moyens humains dont disposait l’ARCOM (2,5 personnes à temps plein) et par l’attente d’un “outil basé sur l’IA” pour contrôler les sites.
Bien que les slides présentées aient fortement manqué de lisibilité, le fond du message s’est révélé structuré et ambitieux.
L’ARCOM est transparent sur ses actions et nous a fait part de son bilan de l’année :
Notre interlocutrice nous a rappelé l’existence d’un formulaire pour signaler les manquements aux obligations légales d’accessibilité numérique.
L’ARCOM a tenu a rassurer sur la prise en compte des tous les signalements, qu’ils soient fait de manière collective par des associations ou bien individuellement. Le manque de réponse ou de mise à jour est davantage liée au manque de temps et de moyens humains. Les contrôles, même de surface, sont chronophage. L’organisme essaye d’être pragmatique face aux priorités.
Parfois, l’ARCOM n’est pas compétente pour traiter certains signalements. Elle renvoie alors vers les autorités concernées.
Au sujet de la répartition entre les autorités de contrôle pour l’EAA, l’ARCOM s’occupera des :
Il y aura un travail en bonne intelligence avec la DGCCRF sur le contrôle des sites de services privés.
Mme Pecaut-Rivolier a présenté la feuille de route de l’ARCOM pour les mois à venir :
Il est également important de rappeler que l’ARCOM veille à l’accessibilité des programmes de chaînes télévisées (audio description, sous-titrage, langue des signes). Un dispositif d’alerte existe aussi pour signaler des contenus problématiques.
Concernant les possibilités du fameux outil attendu, notre intervenante n’a pas vraiment apporté d’éléments de réponse. Nous ne savons pas s’il s’agit du même outil en attente par la DGCCRF. Nous trouvons assez surprenant de ne pas savoir ce qu’il y a dans le cahier des charges d’un outil qui semble central pour les autorités de contrôle.
Retrouvez la seconde partie de l’article où nous racontons l’après-midi de l’évènement : la prise en compte de l’accessibilité numérique dans les entreprises, le rôle de référent accessibilité et le futur d’A11Y Paris.