4 septembre 2025

L’intégration web en 2025 : la disparition du métier ?

Peut-on aujourd’hui exercer uniquement en tant que spécialiste de l’intégration web ? Est-ce que ce métier existe toujours face à celui de dev front-end généraliste, censé tout savoir, tout maîtriser et tout livrer ? L’IA est-elle la nouvelle intégratrice dans l’équipe ?

Ces questions méritent d’être posées car derrière elles, se cache une réalité : la valeur de l’intégration web est maintenant minimisée et le métier est considéré comme dépassé, voire absorbé par d’autres fonctions. Pourtant, il reste au cœur de ce qui fait l’essence et la qualité du web.

Je vous donne mon avis sans filtre, à travers mon expérience personnelle (et quelques références que vous devrez trouver).

HTML et CSS, à la vie à la mort

Couverture du livre "CSS2 : Pratique du Design web" écrit par Raphaël Goetter

J’ai lu peu de livres techniques dans ma carrière mais s’il y en a bien un qui m’a marqué c’est le légendaire CSS 2 : Pratique du design web de Raphaël Goetter. C’est lui qui m’a initié à l’intégration web en 2006 et qui a accompagné mes débuts professionnels.

Pendant mes études, j’étais celui qui voulait faire du HTML quand tout le monde voulait faire du PHP. J’étais celui qui “faisait des classes” quand les autres faisaient de la mise en page avec des tableaux HTML. J’étais celui qui aimait CSS quand tout le monde le redoutait car tout pouvait s’écrouler avec un float ou un margin mal placé.

Là où certains faisaient de l’intégration web une discipline mystérieuse, bizarre et hasardeuse, moi j’y voyais un univers mêlant logique et esthétique de manière presque poétique.

Un respect gagné sur le terrain

Mon amour pour HTML et CSS n’a fait que grandir depuis mes débuts professionnels en 2008. De victoires en victoires, d’aventures aux combats, en maîtrisant le pouvoir de ces 2 titans originels je pouvais tout créer, tout structurer, tout mettre en forme. Du moins dans un navigateur.

Et comme nous étions peu à maîtriser cet art, notre expertise était rare et recherchée. Les portes des agences grandes ouvertes. Nous pouvions nous greffer partout, nous adapter à tous les projets, travailler dans tous les contextes. Nous étions efficaces et fiables.

Intégrateur / Intégratrice web, CSS Designer, UI Developer, Front of Front-End. Nous avions plusieurs noms, chacun·e son préféré. Notre métier était estimé, respecté, valorisé. Nous étions les spécialistes des interfaces web et le lien entre la direction artistique et le développement. On nous a d’ailleurs longtemps appelé le “chaînon manquant”, le “pivot” ou la “glue” tant nous étions utiles dans la collaboration Design / Dev.

Une épopée fantastique

Nous avons tout connu et tout traversé. Souvent avec les mains libres car peu avaient l’audace de vérifier la qualité de notre code. Nous avons créé une constellation de sites web, certains beaux mais inutiles, d’autres efficaces mais rebutants et quelques-uns suspendus miraculeusement avec des hacks CSS.

  • Nous avons fait couler le sang impur de IE6 lors de batailles épiques
  • Nous avons déchiffré des centaines de PSD aux parchemins mal nommés
  • Nous avons utilisé le côté obscur de la Force pour vaincre des emailings à coup de <table>, de <align> et de <center>
  • Nous avons maîtrisé notre ki avec OOCSS, SMACSS et BEM
  • Nous avons appris à voler avec SCSS et LESS
  • Nous avons chargé notre Cosmos grâce à jQuery
  • Nous avons pactisé avec Bootstrap et Material Design
  • Nous avons gagné le respect de la ligue des Designers en capturant des dizaines de Helvetica Neue shiny
  • Nous avons inscrit notre nom sur le Death Note à coup de !important
  • Nous avons atteint le stade de Super Saiyan avec CSS3 et le Responsive Design
  • Nous avons gravement souffert de la maladie du scroll : la parallaxe
  • Nous avons médité devant le Flat Design
  • Nous avons débloqué l’Ultra Instinct avec Flex et Grid Layout
  • Nous avons résisté aux factions de frameworks JS et aux hordes de librairies de composants personnalisables
  • Nous avons prêté allégeance au Dev Mode de Figma
  • Nous avons fusionné avec le métier de Dev Front-End généraliste qui doit tout maîtriser : intégration, composants réutilisables, frameworks, architecture logicielle, APIs, Ops, …

Un héritage en péril

Il y a toujours eu un certain paradoxe dans l’exercice de l’intégration web. Notre goût pour les belles interfaces et notre sensibilité artistique nous a parfois mis dans une position de Designers frustré·es ou refoulé·es. De l’autre côté, la non maîtrise de certains aspects techniques nous a parfois positionné comme des Devs au rabais. Beaucoup d’entre-nous l’ont mal vécu, tentant une évolution de carrière à contre-nature.

Ce chaînon manquant évoqué plus haut s’est brisé au fil du temps. Et je l’avoue, j’y ai participé. J’ai même parfois refusé qu’on m’appelle intégrateur web car je faisais aussi du développement front-end.

Aujourd’hui l’intégration web est une expertise dévaluée, minimisée, invisibilisée.

  • Les gourous LinkedIn du code estiment que l’intégration représente 5% du travail à fournir côté Front-End.
  • Les séries de copier/coller de classes Tailwind ont du succès alors que c’est la même soupe de propriétés CSS que nous combattions autrefois.
  • Le code CSS se retrouve éparpillé dans des centaines de fichiers JS.
  • Les Devs se reposent allègrement sur l’IA qui génère tout le code de l’UI.

J’ai toujours combattu l’idée de réduire l’intégration à des langages basiques et simplistes. HTML et CSS sont la matière première d’internet, ils étaient là avant nos débuts dans le web, ils seront certainement encore là pour notre dernier commit.

L’intégration web c’est de l’analyse, de la rigueur, de l’anticipation et même de l’industrialisation à l’échelle. C’est comprendre et structurer un contenu, respecter une intention graphique, assurer la compatibilité navigateur, optimiser le référencement naturel, garantir une expérience utilisateur. Bref, c’est une spécialité à part entière, pas une ligne anecdotique sur un CV.

Un nouvel arc à écrire

Alors, l’intégration web a-t-elle déposé les armes ? Non,à mon sens. Elle a juste fini un arc narratif où elle n’a pas eu le rôle principal. Elle s’est isolée dans sa Forteresse de solitude et elle attend le calme.

La vérité, c’est que l’intégration a aujourd’hui plus que jamais des arguments solides pour exister :

  • HTML reste incompris : Combien de devs souffrent encore de divite ? Combien déballent encore des centaines de Ko de JS pour créer un accordéon ou une modale alors que c’est nativement possible en HTML ?
  • CSS n’a jamais été aussi puissant : custom properties, functions, container queries, cascade layers, subgrid, scrolling, … un énorme territoire à reconquérir.
  • Les Design Systems explosent et la qualité de l’intégration en est une composante primordiale.
  • Les Design Tokens permettent une industrialisation intéressante.
  • Les frameworks de génération de sites statiques ont le vent en poupe.
  • Les architectures Front modernes permettent de découpler l’UI et la logique métier.

Et enfin, il y a la meilleure alliée de l’intégration web : l’accessibilité numérique. Celle qui se sert à bon escient de la précision et de la robustesse de HTML et CSS. Celle qui remet la qualité de l’intégration au centre des attentions. Celle dont on aura toujours besoin tant que le web existera.

Parce que les frameworks ne sont pas éternels.

Parce que les librairies de composants se déprécient.

Parce que l’IA génère du code à partir de ce qu’elle apprend des humains.

Intégratrices, intégrateurs web, tenez bon et défendez fièrement votre expertise ! Personne ne saura faire mieux que vous avec autant de style et de classe.

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