2 juillet 2024

A11Y Paris 2024 : retour sur l’évènement incontournable de l’accessibilité numérique

Emilie Seng, Dorsaf Frigui et Hamza Iqbal représentaient Frontguys à l'évènement A11Y Paris

Frontguys était présent à A11Y Paris le 25 juin 2024, l’évènement incontournable de l’accessibilité numérique en France !

Ce rendez-vous annuel réuni les professionnel.le.s, les utilisateur.ice.s ainsi que les représentant.e.s des autorités de contrôle autour de conférences, de retours d’expérience et d’état des lieux autour de l’accessibilité numérique.

Pour cette 5ème édition, l’évènement se déroulait à la Maison de la radio et de la Musique avec pas moins de 600 personnes inscrites. A11Y Paris était organisé par l’association Valentin Haüy et Tanaguru.

Nous avons ainsi pu voir des présentations sur des outils d’assistance, des travaux de mise en conformité, des études et des plans d’actions liés à l’accessibilité numérique en France.

Les intervenant.e.s et l’audience ont également pu discuter et échanger autour des problématiques quotidiennes de mise en conformité et surtout mettre en exergue les freins encore trop importants liés aux choix politiques et réglementaires.

Dans cet article, découvrez nos retours et nos ressentis sur l’évènement A11Y Paris :

Des outils et des initiatives au top

A11Y Paris a permis de mettre en avant les travaux et réalisations de plusieurs professionnel.le.s de l’accessibilité numérique.

Design System et accessibilité

Nous avons eu le droit à une table ronde pour parler de la prise en compte de l’accessibilité dans la création d’un Design System. Nous avons ainsi pu écouter Stéphanie Walter (Maltem consulting), Axel Nini (Société Générale) et Maxime Beaugrand (Service d’Information du Gouvernement) parler de leur quotidien de Designer et de la nécessité d’intégrer les critères d’accessibilité au plus tôt.

Le Design System est un outil efficace et vertueux pour répercuter à grande échelle des itérations sur l’accessibilité. Il est nécessaire de construire une communauté autour du DS pour tester les composants en conditions réelles car il est possible de faire des interfaces non-accessibles avec des composants qui le sont techniquement au niveau de l’atome.

Du côté du Design System du l’Etat, Maxime Beaugrand nous a expliqué que la question de l’accessibilité ne se posait pas, tout le monde est sensibilisé et formé pour créer des interfaces conformes au RGAA. De leur côté, Stéphanie Walter et Axel Nini nous ont rappelé que ce n’est pas aussi naturel du côté des entreprises privées bien qu’étant légalement obligées de se conformer. L’accessibilité est souvent négligée ou prise en compte trop tard dans les projets. Les interactions utilisateurs et les besoins en accessibilité sont rarement bien documentés et communiqués aux équipes de développement.

Les 3 spécialistes étaient unanimes sur la nécessité de former les équipes de design et de développement à l’accessibilité, d’adopter les bonnes pratiques et réflexes dès les premières étapes de conception et de développement, et surtout d’impliquer activement les personnes en situation de handicap pour garantir des solutions véritablement accessibles. Les tests utilisateurs sont une aide précieuse pour éviter des coûts de correction plus élevés ultérieurement.

Note importante : Bien que les employés internes en situation de handicap puissent servir de testeurs, il est crucial de ne pas les considérer automatiquement comme des « rats de laboratoire ». Aucune personne ne devrait avoir à se justifier à cause de son handicap, même pour des raisons dites « positives ».

Orange Confort+ et les modes d’usage

Dans le domaine de l’accessibilité numérique, il ne s’agit pas de proposer des interfaces « moyennes » qui répondraient simultanément à une multiplicité de handicaps. Comme le rappelle Denis Chêne, Responsable de projet Accessibilité Recherche chez Orange, « l’égalité n’est pas l’uniformité ». C’est dans cette optique qu’Orange a développé le projet Orange Confort +.

Capture d'écran de l'outil d'accessibilité Orange Confort +

Cette solution open source vise à améliorer le confort de tou.te.s et à promouvoir les sites web accessibles. Basé sur le concept de « Design for All », cet outil valorise la multimodalité, permettant d’adapter le contenu de diverses manières afin de le rendre accessible à chacun.e grâce à de nombreux réglages. Cela inclut des « paquets de modes d’usages » offrant plusieurs façons d’interagir avec les interfaces selon les besoins.

Orange Confort + propose donc une vingtaine d’options pour adapter les sites Web suivant une situation temporaire ou permanente (déficiences visuelles ou simple fatigue, problèmes de reconnaissance des mots pour des raisons de dyslexie ou autres, difficulté à utiliser une souris …). La promesse est simple : un paramétrage à réaliser une fois pour tous les sites Web.

Il est toutefois important de rappeler que ce type d’outil, bien que permettant d’améliorer l’accessibilité et l’utilisation des sites web, n’exempt pas le respect des règles d’accessibilité.

Le coup de coeur basque

Le Pays Basque était particulièrement à l’honneur durant cette journée grâce à Daniel Olçomendy (Élu de la Communauté d’Agglomération Pays Basque, chargé au Tourisme durable et à l’Accessibilité universelle du territoire). Ce dernier nous a présenté les travaux de mise en conformité des sites de la Communauté d’Agglomération Pays Basque mais nous a surtout expliqué sa démarche.

Dans sa volonté de se mettre en conformité avec le RGAA, la Communauté d’Agglomération Pays Basque a bien évidemment placé l’accessibilité numérique au coeur des appels d’offres. Malheureusement, les équipes de Daniel Olçomendy ont fait face à des problèmes de taille : des « professionnels » ne connaissant ni l’accessibilité numérique, ni ne comprenant son utilité ! Toutefois, les efforts et la recherche de partenaires partageant la même vision fut fructueuse car aujourd’hui le Pays Basque dispose aujourd’hui d’une plateforme appelé Elgarweb.

Elgarweb est une plateforme basée sur le CMS français Translucide qui permet d’obtenir des sites écoconçus et accessibles. Cette plateforme est pensée comme une boîte à outils qui permet aux communes du Pays Basque, quelle que soit leur taille, de disposer d’un site Internet accessible, performant et personnalisé tout en profitant d’un socle technique mutualisé.

Cerise sur le gâteau : Elgarweb permet de créer des sites conformes à 100% au RGAA.

À ce jour, 10 sites 100% conformes sont en ligne et 4 sont en cours de développement. Ces initiatives visent à créer un environnement numérique inclusif, garantissant que les services numériques soient utilisables par tous, indépendamment des capacités physiques ou cognitives des utilisateurs.

Des chiffres toujours aussi alarmants

La Fédération des Aveugles et Amblyopes de France était représentée par Katie Durand et Denis Boulay. Cet organisme regroupe des militant.e.s, des usagers, des professionnel.le.s et bénévoles engagé.e.s ensemble pour une plus grande inclusion sociale et économique des personnes déficientes visuelles.

Durant leur intervention, Katie et Denis nous ont présenté les résultats de l’Observatoire du respect des obligations d’accessibilité numérique basés sur près de 4000 sites contrôlés. Le but de cette étude est de vérifier si les sites devant se conformer au RGAA respectent leurs obligations d’affichage (mention en page d’accueil, déclaration d’accessibilité, publication de schéma pluriannuel) et de mettre en avant leur taux de conformité.

Le moins que l’on puisse dire est que les chiffres sont aussi mauvais qu’inquiétants. Sur les 3993 sites contrôlés :

  • 156 sites (soit 3,91%) respectent leurs obligations d’affichage
  • 18 sites (soit 0,45%) déclarent être en conformité totale avec le RGAA
  • 282 sites (soit 7%) déclarent être en partiellement conformes avec le RGAA

Il pourrait être tentant de se dire que ces chiffres sont aussi bas car cette étude mélange des sites de services publics avec des sites d’entreprises privées. Le problème est que les résultats sont toujours aussi médiocres quand on s’intéresse au secteur public uniquement :

Dans son introduction à cette journée, Isabelle Saurat (Déléguée interministérielle à l’accessibilité) a déclaré que d’ici trois ans, 100% des sites de l’État seront conformes.

Pour être complet, il est important de signaler que l’Observatoire s’appuie exclusivement sur les éléments déclarés par les sites internet et qu’il ne vérifie pas les intranets, les applications mobiles et les communications qui sont également soumis aux obligations légales de conformité. De plus, il ne s’assure pas de la véracité et de la pertinence des contenus déclarés et n’atteste donc pas du caractère réellement accessible des sites contrôlés.

L’exemple luxembourgeois

Alain Vagner et Dominique Nauroy du SIP (Service Information et Presse) du Luxembourg nous ont fait part des référentiels en vigueur chez eux. Depuis plusieurs années, le Luxembourg utilise le RGAA pour auditer ses services web tout en s’alignant avec la norme européenne d’accessibilité EN 301 549

Concrètement, le SIP comble l’écart entre la France et l’Europe en complétant les 106 critères du RGAA avec 30 critères supplémentaires dont voici quelques exemples :

  • Pour chaque média temporel qui dispose d’une piste de sous-titres synchronisés ou d’une audiodescription, les fonctionnalités de contrôle de ces alternatives sont-elles présentées au même niveau que les fonctionnalités principales ?
  • Chaque outil d’édition permet-il de définir les informations d’accessibilité nécessaires pour créer un contenu conforme aux règles d’accessibilité numérique ?
  • Chaque service d’assistance fournit-il des informations relatives aux fonctionnalités d’accessibilité et à la compatibilité avec l’accessibilité, décrites dans la documentation du site web ?
  • Pour chaque application web de communication orale bidirectionnelle qui dispose d’une vidéo en temps réel, la qualité de la vidéo est-elle suffisante ?

Ces nouveaux critères s’intègrent naturellement dans le RGAA (même glossaire, mêmes méthodes de tests) et sont répartis dans les 13 thématiques originelles ou dans les 4 nouvelles (Documentation et fonctionnalités d’accessibilité, Outils d’édition, Services d’assistance et Communication en temps réel).

Le Luxembourg possède donc les 3 référentiels d’accessibilité suivants :

En quelques minutes les Luxembourgeois nous ont montré qu’ils avaient dépassé la France en matière d’accessibilité numérique avec moins de moyens mais avec une démarche intelligente, itérative et Open Source. En bonus, nous avons également appris quelques mots en luxembourgeois, comme « Moien », qui signifie « Bonjour ».

Des autorités en difficulté

Depuis peu l’Arcom (Autorité de Régulation de la Communication Audiovisuelle et Numérique) s’est vue confiée la mission de veiller au respect d’un certain nombre d’obligations relatives à l’accessibilité des services numériques. Laurence Pecaut-Rivolier (membre du collège de l’ARCOM) a présenté un plan d’action pour appliquer cette nouvelle responsabilité qui consiste à :

  • Permettre aux associations et aux particuliers de signaler les manquements aux obligations légales à l’accessibilité numérique qui rentrent dans le champ d’action de l’ARCOM
  • Contrôler l’accessibilité des services numériques publics pour faire un rapport à la Commission Européenne
  • Envoyer des courriers de sensibilisation à la démarche numérique et de rappels des obligations légales
  • Mettre en demeure pour se conformer aux obligations légales avec un délai de mise en conformité
  • Sanctionner :
    • 50 000 € pour non-conformité aux exigences en matière d’accessibilité numérique 
    • 25 000 € pour manquement aux obligations déclaratives

Laurence Pecaut-Rivolier a indiqué que l’ARCOM a envoyé 133 courriers depuis mars 2023 à diverses administrations publiques pour leur rappeler leurs obligations. Elle a également rappelé que le but de l’ARCOM n’est pas de sanctionner à tout va mais bien de sensibiliser, guider et accompagner les responsables des sites à adopter une démarche de mise en conformité.

Bien que la démarche soit louable et aille dans le bon sens, l’ARCOM a provoqué le grand étonnement du public en avouant que seules 2,5 personnes étaient allouées aux tâches de contrôle qui concernent … 200 000 sites !

Le climat s’est davantage tendu quand la représente de l’ARCOM a expliqué que l’organisme attendait impatiemment (dans les 6 mois) la création d’un outil d’Intelligence Artificielle pour lui faciliter son travail de contrôle. Les spécialistes de l’accessibilité n’ont pas hésité à exprimer leur inquiétude et leur frustration quant à cette révélation en insistant sur le fait qu’aucun outil de ce genre pourra remplacer la vérification humaine. La problématique resterait la même : pas de résultat sans moyen humain !

Le RGAA à la traîne

La journée s’est terminée avec une table ronde pour discuter du présent et de l’avenir du RGAA. Nous avons donc retrouvé Armony Altinier (Koena), Antoine Cao (DINUM), Sébastien Delorme (Ideance), Aurélien Levy (Temesis) et Audrey Maniez (Access42) pour faire un état des lieux du référentiel français et répondre aux inquiétudes grandissantes des spécialistes.

Antoine Cao a indiqué que la DINUM (Direction InterMinistérielle du Numérique), bien qu’ayant un budget alloué au RGAA, ne disposait pas des ressources humaines nécessaires pour faire évoluer le référentiel afin de le rendre conforme à la directive européenne. Le RGAA n’est donc pas maintenu depuis plus d’un an (version 4.1.2 publiée en avril 2023) et n’est pas aligné avec la norme européenne d’accessibilité EN 301 549. Pire, il est possible qu’aucune action ne soit entreprise avant peut-être… 2027 !

Il est aujourd’hui impossible d’avoir une vision claire sur l’avenir du RGAA et de ses prochaines évolutions. Il existe pourtant de nombreuses demandes de corrections et de clarifications mais qui restent sans réponse de la part de la DINUM. La gestion de l’accessibilité numérique en France est grandement remise en question lors de cette table ronde.

Beaucoup d’expert.e.s en accessibilité préfèrent se tourner vers les référentiels luxembourgois pour auditer et mettre en conformité les sites. Même si la loi française ne peut pas faire mention à des référentiels étrangers, il s’agit certainement de la meilleure chose à faire à l’heure actuelle…

Ce que nous avons retenu

Comme on s’y attendait, ce fut une journée riche en enseignements où nous avons oscillé entre émerveillement, anxiété, surprise et questionnement. La France a la chance de posséder depuis toujours de très grand.e.s expert.e.s en accessibilité numérique mais malheureusement beaucoup de freins viennent les empêcher de mener à bien leur mission d’utilité publique. Voici un résumé de ce que nous avons retenu :

Les points positifs

  • Un public au rendez-vous avec près de 600 personnes inscrites et une salle comble
  • Des programmes de formation et de sensibilisation à la hausse, avec la création d’un Diplôme Universitaire de référent accessibilité numérique à La Réunion
  • Des retours d’expérience qui montrent que l’inversion des tendances ne tient qu’à la bonne volonté des professionnel.le.s de l’accessibilité numérique
  • Des exemples inspirants chez nos voisins frontaliers mais qu’on ne peut malheureusement pas encore suivre

Les points négatifs

  • Des obligations légales de mise en conformité toujours aussi peu considérées et respectées
  • L’accessibilité numérique en France n’est encore qu’une obligation déclarative pour beaucoup d’entreprises
  • Des organismes de contrôle et de réglementation qui travaillent encore en silo et qui ne semblent pas pouvoir communiquer ni offrir de visibilité sur leurs réflexions et leurs travaux
  • Des autorités en souffrance face au manque de moyens et de considération de la part des politiques

Des rappels importants

  • On ne dit pas “site accessible” mais “site conforme” : ce n’est pas parce qu’on est conforme aux référentiels WCAG ou RGAA que l’on est vraiment accessible.
  • La sensibilisation, la formation et l’intégration des personnes en situation de handicap sont les piliers pour avancer sur l’accessibilité
  • Les audits automatisés ne couvriront jamais tous les critères et devront toujours être menés par des humains
  • La responsabilisation face à l’accessibilité numérique est avant tout une affaire de moyens et de décisions politiques

Concernant l’événement en soit, A11Y Paris a encore une fois tenu ses promesses : une organisation au top, des intervenant.e.s de qualité, des présentations claires et captivantes le tout dans un lieu superbe (Maison de la radio et de la Musique). Un évènement aussi qualitatif et surtout gratuit pour le public, mérite encore plus de visibilité et de soutien. Merci Frederic Halna et Manuel PEREIRA pour l’organisation et l’animation de cette journée.